Agora

Alejandro Amenabar




Fiche technique du film, 2010


A la fin du IVe siècle, à Alexandrie, le monde romain vascille et Alejandro Amenabar filme sa perdition par un christianisme à l'agressivité sans limite. Le christianisme est toléré depuis peu par le gouvernement romain qui dirige la ville, et il entend conquérir la cité par ses deux plus sûrs fondements : la violence et l'obscurantisme. A l'abri dans la bibliothèque, la philosophe et astronome Hypatie se consacre à une autre tâche : l'élévation des consciences par l'étude. Quand, dehors, on exige des dieux adverses de prouver leur efficacité, dedans, la parole est donnée aux Coniques d’Apollonius de Perge ou à l'astronomie planétaire de Ptolémée. On y raisonne, on y débat. Le système géocentrique de Ptolémee, avec son fardeau d'épicycles arbitraires, doit-il plier devant l'héliocentrisme d'Aristarque ? Qui, des chrétiens ou des polythéistes égyptiens, doit-il voir sa suprématie reconnue ? La réponse de l'acceptation réciproque résulte de la logique, pas des oracles ou des bûchers : quand deux êtres, objets ou éléments, sont égaux à un troisième, leur égalité mutuelle en résulte sans détour.

Face à l'agressivité des chrétiens, le séisme est proche et Hypatie, dont la droiture est reconnue de tous, plaide pour la paix et l'égalité. Les artisans de la révolte chrétienne prennent les traits d'une canaille faite de gueux, d'ignares, de fanatiques sanguinaires qui pourchassent d'abord les "païens", puis les juifs. Les parabelani sont leur milice, l'évêque Cyrille leur chef (il sera proclamé docteur de l’Église par Léon XIII en 1882). La bibliothèque d'Alexandrie qu'ils saccagent devient une étable où le foin remplace les rouleaux de textes, avec cette formidable image en plan zénithal de la horde des adorateurs du mythique Jésus qui investissent les lieux comme autant de rats agités de mouvements désordonnés.

Quelques années après, Hypatie effectue l'expérience de Galilée sur la chute des corps (où tombe l'objet lâché du haut d'un bateau en mouvement ? au pied du mât ou quelques mètres en arrière ?) et découvre le principe d'inertie qui, conclue-t-elle, doit aussi régir le mouvement des planètes. Mais les chrétiens, débarrassés du pénible exercice de la raison, soutiennent que la Terre est plate et ignorent Eratosthène qui avait démontré sa rotondité et mesuré sa circonférence quatre siècles auparavant... Hypatie poursuit sa quête passionnée et accède à la première loi de Kepler (formulée au début du XVIIe siècle) : les orbites planétaires sont des ellipses dont le soleil est l'un des foyers (avec une présentation très pédagogique du phénomène : un bac à sable, une corde, deux torches et l'astronomie s'élabore hors des fureurs d'un monde dément). Les variations d'éclat des planètes y trouvent une explication naturelle, exempte de la multiplication arbitraire des épicycles de Ptolémée. La nature aime la simplicité, rappelle Hypatie.

Apeuré par les inquiétants pouilleux adorateurs de Jésus, le pouvoir romain se convertit au christianisme par opportunisme politique. Seule Hypatie demeure dans une insoumission qui lui vaudra la hargne de l'évêque Cyrille. Pour ce futur saint, toute coquetterie est refusée aux femmes qui ne doivent, en outre, exercer aucune influence sur les hommes, comme l'exige la Bible précise un collègue (cf. les versets 3, 1 à 6 de la première lettre de Pierre). Celle qui surpassait tous ses contemporains finira lapidée à mort par des chrétiens qui montrent ainsi leur pleine adhésion aux exhortations au meurtre vomies par le Deutéronome qu'il n'a pas été nécessaire de lire.

Bien sûr, dans le film d'Amenabar, toute ressemblance avec un autre monothéisme, survenu six siècles plus tard, n'est pas fortuite : chaque mot, chaque personnage, chaque acte trouve une correspondance immédiate avec l'islam du XXIe siècle. Très didactique, le film a été lapidé par quelques snobs : "une antiquité espagnole tentée d’astronomie en costumes et anglais hellénistiques et touchant le fond" (Libération 13 janvier 2010), le réalisateur "n'est pas un cinéaste très subtil" (Le Monde, 6 janvier 2010), "un plaidoyer tyrannique pour la tolérance" (Les Inrocks, 18 décembre 2010). Un article remarquable d'Eric Nuevo est cependant paru dans Le Monde du 21 janvier 2010. Face au chantage au respect, le courage n'est pas, aujourd'hui, dans l'appel empressé à la sauvegarde des religions à chacune de leurs explosions, mais dans la dénonciation totale de leur nocivité intrinsèque et de leur radicale incompatibilité avec la science.


31 mars 2010


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