Un rabbin reformule le talion




On connaît la proposition de Tariq Ramadan pour un moratoire sur la lapidation dans l'islam. Moratoire et pas interdiction. La loi du talion dans la Torah accule les rabbins à une défense qui n'est pas moins insupportable. L'un d'eux, Philippe-Shlomo Assous, a entrepris de convaincre que le trop fameux "œil pour œil" ne consisterait pas en la barbarie des châtiments corporels. Il s'agirait simplement d'une compensation financière en réparation d'une blessure ou d'un décès causé par un tiers. Bref, pas de quoi lapider un athée, un peu de fric et l'affaire est entendue. L'argumentation irréelle est présentée dans son livre "Œil pour œil, blessure d'un homme à son prochain dans la littérature rabbinique" (Safed Editions 2003). Mais qu'on se garde bien de considérer son analyse comme l'errement d'un illuminé : le Grand Rabbin de France Joseph Sitruk en signe une préface enthousiaste.

Déformer, tordre, occulter, manipuler un texte d'une inouïe violence pour en faire un paisible code de Justice, tel est le piteux exploit du rabbin Assous. Face à la sauvagerie de la loi du talion, exprimée maintes fois dans la Bible (Genèse 9.5-6, Exode 21.23-25, Lévitique 24.19-20, Deutéronome 19.21, 25.12), l'auteur convoque tel autre verset, tel passage du Talmud ou tels écrits rabbiniques pour imaginer que dans une compensation financière réside le vrai esprit du talion. On s'y perd dans le labyrinthe des écrits rabbiniques où un rabbin est contredit par un autre, on se noie dans le marécage de la Torah où un verset voit son sens renversé par celui qui suit ou précède. La détermination du montant du dédommagement supposé donne lieu à des calculs étonnants. Que vaut une main coupée ? Rien au prix du kilo de viande froide mais beaucoup plus quand est considéré le manque à gagner pour la victime désormais dans l'incapacité de travailler. Alors, à quel cours l'évaluer ? Celui d'un salarié qualifié, d'un travailleur non spécialisé, d'un esclave ?

La "démonstration" est aussi peu sérieuse que la rédaction du texte, la distinction entre les propos de l'auteur et les sources utilisées n'est pas toujours suffisamment claire. En outre, comme, de plus, on a toujours besoin d'un plus faible que soi pour assurer sa propre promotion, l'auteur rassure son lectorat en clamant la supériorité de la Torah sur le code d'Hammourabi (stèle monumentale vieille de 3800 ans, conservée au Louvre, qui servait de code de Justice à Babylone). Maigre satisfaction pour une religion archaïque... L'autojustification doctrinale ne varie pas d'un monothéisme à l'autre et la Torah apparaît comme jouissant de la même perfection que le Coran dans les écrits bornés de quelques clônes de Hani Ramadan.

Pour le catholicisme, né sur le même fatras idéologique, une nouvelle justification du talion ne lui est pas désagréable. Ainsi, dans l'homélie de la messe dominicale du 23 juillet 2006 retransmise sur France Culture, le père Jean-François Noël, aumônier des artistes à Aix en Provence, n'avait pas craint de présenter le talion comme l'expression d'une justice véritable s'opposant à l'état de nature. Par l'exactitude de la peine et de la faute, le talion ne serait rien d'autre qu'une punition codifiée, spécialement adaptée, et dépourvue de tout risque d'excès : "Nous comprenons mieux ici que l'adage "œil pour œil, dent pour dent" qui semblait si barbare était déja une avancée dans la civilisation car il tentait déjà d'égaliser simplement une dent pour une dent alors que nous savons que lorsque nous nous laissons aller à la violence que nous avons subie en la renvoyant à l'autre, exponentiellement elle a déjà pris plusieurs avances." Ce serait le principe de la peine proportionnée. Il fallait y penser : trancher la main d'un voleur est d'une infinie bonté quand on sait qu'on aurait pu lui couper les deux mains, le décapiter et le plonger dans un chaudron d'eau bouillante au son de "Jésus revient parmi les siens"... Merci curé.


5 décembre 2006


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